my short artist’s statement (by Marcel Proust)

Par l’art seulement nous pouvons sortir de nous, savoir ce que voit un autre de cet univers qui n’est pas le même que le nôtre

 

On me demande : pourquoi tant de styles ? Evolution ? Impatience ? L’éternel retour?

Qu’est-ce qu’un tel paysage bleu

(inspiré par un film de Bela Tarr)

 

a à voir avec une abstraction géométrique

(inspiré par un plan architectural de Neutelings Riedijk Architects) ?

 

 

C’est assez different, oui. Et cela m’étonne aussi, de moi même. Mais il ne s’agit pas de moi même, car ce n’est pas moi qui m’intéresse dans l’art. C’est -pour tout et rien dire – la vie. La vie et la Forme qui l’incarne.

“La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c’est la littérature. Cette vie qui en un sens, habite à chaque instant chez tous les hommes aussi bien que chez l’artiste. Mais ils ne la voient pas parce qu’ils ne cherchent pas à l’éclaircir. Et ainsi leur passé est encombré d’innombrables clichés qui restent inutiles parce que l’intelligence ne les a pas « développés ». Notre vie ; et aussi la vie des autres ; car le style pour l’écrivain aussi bien que la couleur pour le peintre est une question non de technique, mais de vision. Il est la révélation, qui serait impossible par des moyens directs et conscients de la différence qualitative qu’il y a dans la façon dont nous apparaît le monde, différence qui, s’il n’y avait pas l’art, resterait le secret éternel de chacun.

Par l’art seulement nous pouvons sortir de nous, savoir ce que voit un autre de cet univers qui n’est pas le même que le nôtre et dont les paysages nous seraient restés aussi inconnus que ceux qu’il peut y avoir dans la lune. Grâce à l’art, au lieu de voir un seul monde, le nôtre, nous le voyons se multiplier et autant qu’il y a d’artistes originaux, autant nous avons de mondes à notre disposition, plus différents les uns des autres que ceux qui roulent dans l’infini, et bien des siècles après qu’est éteint le foyer dont il émanait, qu’il s’appelât Rembrandt ou Ver Meer, nous envoient encore leur rayon spécial.” 

 

(Marcel Proust, À la recherche du temps perdu III, Le Temps Retrouvé, p. 891 Ed. Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard)

 

 

 

 

 

Et puis, d’après la belle définition de Robert Filliou, « l’art c’est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art ».